Smart city, épisode 2 : la ville a des yeux

@storyset (6)
27 mars 2018

Après un premier épisode dédié à son origin story, il est temps de plonger à nouveau au cœur de la smart city à travers une approche basée sur la technologie qui l’anime !

Nous évoquions précédemment cette première approche : le moteur de la smart city est basé sur la technologie. Plus spécifiquement, les technologies numériques sont vues comme un moyen de changer radicalement la manière dont on pense et fabrique la ville. D’un côté, les réseaux de capteurs et les smartphones permettent d’accéder à une masse de données sans précédent et, de l’autre, la connectivité permise par Internet permet des possibilités d’action et de coordination auparavant impossibles. Il existe ainsi aujourd’hui une cristallisation, notamment avec l’essor de l’Internet des objets (IoT), autour des nouvelles technologies comme élément d’une nouvelle dynamique des villes. Pour certains chercheurs, l’accent est mis sur un environnement urbain où toutes les infrastructures sont interconnectées.

Cette orientation est la plus innovante d’un point de vue technique et se base sur les capacités de l’IoT à créer une multitude de services dits « smart ». Ici, l’intelligence de la ville est incarnée par des systèmes de contrôle intelligents dont la spécificité est d’être « conscients » de leur environnement et d’ajuster leurs opérations en conséquence (Hancke et al, 2013). Le schéma ci-dessous présente une étendue des applications possibles de ces nouveaux services.

Principales applications de l’Internet des objets. Extrait de Talari et al. (2017)

On peut comparer la ville à des organismes vivants dont la couche numérique constitue le système nerveux. La nouvelle intelligence des villes résiderait ainsi dans une combinaison de plus en plus efficace des réseaux de télécommunication (les nerfs), d’une intelligence embarquée ubiquitaire (les cerveaux), des capteurs (les organes sensoriels) et des logiciels (la connaissance et la compétence cognitive). À la manière d’un système nerveux, cette couche numérique est capable de sentir les changements internes et externes de son environnement et d’y répondre. Ces services fonctionnent, d’une part, grâce à la possibilité de collecter, de mesurer et d’enregistrer une masse de données sans précédent et, d’autre part, grâce au développement des systèmes et techniques d’analyse des données.

Quelques exemples

Récemment, les villes tentent de créer des centres de contrôle opérationnels permettant d’organiser, de coordonner et de consolider les données capturées au sein d’un seul service. New York a ainsi mis en place le Mayor’s Office of Data Analytics (MODA). Défini comme un centre d’intelligence municipal soutenu par une « geek squad », il a pour objectif d’agréger les informations des différents services administratifs et de les croiser avec celles de la Silicon Alley, l’équivalent de la Silicon Valley sur la côte Est des Etats-Unis. Le MODA développe et maintient DataBridge, une plateforme de partage de données réunissant les données de 50 systèmes appartenant à une vingtaine d’agences publiques et d’organisations externes.

Nous pouvons également citer l’exemple de Nice qui, en association avec Cisco, s’est lancée dans l’expérimentation d’un boulevard connecté où différents capteurs collectent en temps réel des données sur la circulation, l’éclairage public, la propreté ou encore la qualité environnementale. L’objectif est de parvenir à la constitution d’une plateforme commune d’informations permettant à des administrations comme à des développeurs privés de proposer des services innovants.

En parallèle, les villes créent également des tableaux de bord pour les citoyens, développeurs ou chercheurs affichant diverses données en temps réel. Ainsi, les traditionnelles plateformes statiques d’open data se transforment en outil de visualisation dynamique des données. Dublinked, le tableau de bord de la ville de Dublin, permet ainsi de visualiser les temps de trajet, les places de parking libres, la qualité de l’air ou encore le prix moyen du logement. De la même manière, le City Dashboard de Londres permet aux citoyens de visualiser en temps réel des données météorologiques, la pollution de l’air, les retards des transports publics, la demande d’électricité ou encore le niveau… de bonheur !

LA VILLE EN TEMPS RÉEL : DE DÉMONSTRATION TECHNOLOGIQUE À LIEU DE VIE ?

L’informatique urbaine et le Big Data forment ce que Kitchin (2014) nomme la ville en temps réel. Cette vision technologique est poussée à l’extrême avec la construction de nouvelles villes comme Songdo en Corée du Sud ou PlanIT Valley au Portugal. Ici, l’intégration de la couche numérique est pensée dès la construction ce qui permet de créer un réseau de réseaux permettant de contrôler chaque paramètre de la ville. Ainsi, les réseaux traditionnels (routes, électricité, eau, etc.) sont tous augmentés de réseaux de capteurs connectés eux-mêmes à Internet afin de centraliser toutes les données au sein d’une même plateforme. En d’autres termes, un système d’exploitation urbain se cristallisant au sein d’un centre de contrôle, véritable cerveau algorithmique de la ville.

À Songdo, entre les 500 caméras de sécurité, les lecteurs de plaque d’immatriculation et les contrôles automatiques d’entrée et de sortie de stationnement, les résidents sont suivis à la trace. À la charge de Cisco, chaque mètre carré de la ville est connecté et recouvert de capteurs permettant de mesurer la qualité de l’air, la température, la consommation d’énergie ou la circulation routière. Songdo a également développé un système de gestion des déchets entièrement automatisé. Par le biais d’une infrastructure souterraine complexe, les déchets sont directement envoyés depuis la cuisine jusqu’à un centre de traitement. Ainsi, aucune poubelle et aucun camion poubelle n’y seront aperçus. Le point clé de cet ensemble technique se situe dans la solution cloud de Cisco « Smart+Connected Digital Platform » qui permet de centraliser et traiter de manière intégrée l’ensemble des données créées par la ville. L’idée principale derrière ces déploiements techniques est d’aboutir à un système d’exploitation urbain dont les développeurs tiers pourront combler les trous via la création de nouvelles applications, à la manière d’un App store mais pour la ville. Living PlanIT, en charge de la planification de PlanIT Valley, poursuit également cette voie avec le développement d’UOS, leur système d’exploitation urbain. Malheureusement, à cause de problèmes de financement, PlanIT Valley peine à sortir de terre et Living PlanIT doit pour le moment tester son système au sein de petits projets pilotes à travers le monde.

Ces villes sont pourtant paradoxales puisque construites afin de répondre à des problématiques… pour le moment inexistantes. En effet, peinant encore à attirer des résidents, ces villes semi-fantômes sont planifiées sur des simulations de comportements et d’usages poussés par les visions des entreprises en charge de leur développement. Or, une ville, vue comme un système complexe, est caractérisée par ses trajectoires imprévisibles. Dans ce contexte, il est difficile d’analyser aujourd’hui la réelle efficacité de ces vitrines techniques. De plus, la question se pose de la transposition de ce type de modèle à des villes existantes, dotées d’une histoire, d’une culture et surtout d’une vraie problématique d’externalités négatives due à la surpopulation.

LA TECHNOLOGIE NE SUFFIT PAS

Que ce soit dans le cas d’une modernisation de villes existantes ou dans celui de la construction de villes nouvelles, l’idée fondamentale de tous ces systèmes et services est d’intégrer la multitude de données disponibles afin de réaliser des analyses croisées et permettre à la fois l’optimisation de services urbains et une meilleure prise de décision. Cette approche « top down » de la ville se situe cependant du point de vue des pouvoirs publics locaux et des organisations en charge de gérer la ville. La place que prend la donnée dans cette forme de gouvernance amène de plus en plus à parler de ville guidée par les données, ce qui pose, comme nous le verrons dans un épisode dédié à la gouvernance, des questions relatives à la gouvernance algorithmique.

Bien que l’utilisation des données dans le but de comprendre la ville, notamment via des modèles de simulation, soit ancré dans la planification des villes depuis les années 50, les résultats étaient particulièrement mauvais (Batty, 2013 ; Townsend, 2015). Aujourd’hui, les opportunités d’utiliser ces données couplées à la théorie du contrôle et l’analyse prédictive ouvrent des perspectives inédites pour la gestion et la gouvernance urbaine. Néanmoins, ces promesses risquent de n’être tenues qu’à moitié. En effet, Luis M.A. Bettencourt, en 2013, a commencé à formaliser une preuve montrant qu’il est pratiquement impossible, peu importe la quantité de données disponibles, de réaliser une planification urbaine exhaustive des grandes villes à l’aide des outils informatiques. En effet, « la donnée et les technologies ne créent ou ne résolvent pas de problèmes urbains, ils aident la population et les organisations sociales à mieux s’y attaquer ». Cela s’explique par le fait que si les métriques sur lesquelles se basent les mécanismes de contrôle peuvent être simples (notamment les métriques de court terme relatives aux infrastructures urbaines), il existe également des métriques complexes provenant des myriades d’interactions sociales et économiques de la ville.

Dans le prochain épisode, après cette approche uniquement technologique, nous tâcherons de replacer l’humain au centre de l’approche de la smart city !

Sources :

  • Image d’illustration @storyset
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