Inclusion numérique : comprendre les types de fractures

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12 mai 2023

Selon un rapport transmis début avril 2023 au ministre chargé de la Transition numérique et des Télécommunications Jean-Noël Barrot, près de 16 millions de Français sont concernés par le phénomène « d’éloignement » vis-à-vis du numérique.

La fracture numérique est flagrante à l’échelle mondiale et on la devine fortement calquée sur le niveau de développement des différentes régions géographiques (9 équipements connectés par personne en Europe de l’Ouest contre 1,5 en Afrique). Mais elle est également très présente et de manière plus subtile dans les pays développés tels que la France.

Les termes « d’éloignement », de « fracture » ou encore de « fragilité » numérique désignent les différentes formes d’inégalités numériques qui affectent une partie importante et grandissante de la population. Si l’on sait que de nombreux facteurs provoquent ces inégalités numériques, le rapport souligne que « ces variables ont pour particularité d’être interreliées et souvent interdépendantes les unes des autres, voire cumulatives ». Bien que la liste ne soit pas exhaustive, il est tout de même possible de caractériser quatre grands types de fracture numérique : la fracture générationnelle, la fracture sociale, la fracture territoriale et celle liée aux questions d’accessibilité. En effet, parmi les personnes identifiées comme particulièrement vulnérables figurent les seniors et les retraités, les personnes précaires et à faibles revenus, les personnes en situation de handicap et les personnes détenues.

Les raisons des difficultés rencontrées s’agissant de l’accès au numérique sont elles aussi souvent cumulatives : accès à un équipement, à une connexion et compétences numériques. Le rapport du Baromètre du Numérique 2022 met justement en exergue les fluctuations du taux d’équipement en ordinateur et du taux d’équipement en internet fixe à domicile. Puisque la majorité des personnes souffrant de ces inégalités témoignent d’un certain manque d’autonomie, on parle d’illectronisme.

D’un point de vue mondial, d’autres régions subissent des disparités géographiques importantes, et dans certains pays, l’accès à internet est très coûteux par rapport au salaire moyen. En France, à l’exclusion des territoires ultramarins, certains opérateurs proposent des offres « low-cost ». Pour autant, il subsiste certains problèmes de couverture internet sur notre territoire, notamment dans certaines régions montagneuses, agricoles ou à faible densité de population.

LA DÉMATÉRIALISATION DES SERVICES PUBLICS : LA FACILITATION DE L’ACCÈS AU DROIT, MAIS PAS POUR TOUS

La notion de « compétence numérique » est à préciser, notamment en ce qui concerne les différences d’usages et d’accès au numérique selon les générations et les milieux socio-économiques. À titre illustratif, le recours à l’usage ludique du numérique apparaît comme plus intuitif et plus répandu.

Les jeunes générations en sont d’ailleurs un exemple éloquent. Largement équipées, qualifiées de digital natives, elles sont pourtant elles aussi concernées puisqu’un jeune de 25 ans sur cinq est éloigné du numérique. En effet, les démarches administratives mobilisent d’autres compétences qui sont essentielles dans l’accès au droit et ces dernières diffèrent largement des usages ludiques et divertissants du numérique, ou plus concrètement de la maîtrise du numérique « de tous les jours ». Abstraction faite de la nature même de la démarche, l’ergonomie peu familière des interfaces ou la nécessité de passer sur un ordinateur plutôt qu’un smartphone peuvent constituer de véritables freins.

Facilitatrice de l’accès au droit pour certains, génératrice de difficultés pour d’autres, la dématérialisation des services publics est à l’origine de l’exclusion de certains publics de l’exercice de leur citoyenneté. La dématérialisation des services publics en France trouve ses origines dans les années 1990, avec la montée en puissance des technologies de l’information et de la communication. C’est à cette époque que les administrations publiques ont commencé à explorer les possibilités offertes par l’informatique afin d’améliorer leurs processus et de gagner en efficacité. Cette entreprise de dématérialisation a trouvé une nouvelle impulsion dès 2017 en application du programme Action publique 2022, visant à atteindre des services publics 100% dématérialisés.

Dans son rapport de 2019, le défenseur des droits alertait sur l’éloignement des services publics. Trois ans plus tard, un nouveau rapport souligne l’évolution de la situation et dénonce le lien entre les difficultés d’échange avec les services publics et la dématérialisation.

Le rapport annuel de l’institution a récemment été présenté et Claire Hédon, Défenseure des droits, a déclaré que plus de 85% des sollicitations de l’année 2022 (125 000) concernaient la relation avec les services publics, une hausse de 14% par rapport à 2021. De ce fait et en l’état actuel des choses, la dématérialisation interroge le principe d’égalité d’accès aux services publics, en particulier pour les publics les plus vulnérables.

À ce propos, le téléphone étant un mode classique de relation avec les services publics, l’Institut national de la consommation (INC) et le Défenseur des droits ont réalisé une étude afin d’évaluer la qualité de l’accueil téléphonique des trois services publics dématérialisés visés par l’enquête (la CNAF, Pôle Emploi et la CNAMTS). Si l’étude date de 2016, soit avant même l’annonce de la dématérialisation sous le plan Action Publique 2022, l’exemple demeure tout de même pertinent en raison de ses résultats alarmants qui ont souligné une véritable déshumanisation des services publics. 40% des appels n’aboutissent pas et les autres se soldent d’un « renvoi sans doute trop rapide et systématique vers Internet pour des personnes qui n’en disposent pas toujours et qui, lorsqu’elles se voient conseiller de se rendre dans un lieu d’accueil physique, ne se voit pas préciser sa localisation ou ses horaires d’ouverture ».

L’AUTONOMIE NUMÉRIQUE ET ADMINISTRATIVE, ENJEU DE COHÉSION SOCIALE ET TERRITORIALE

Les effets en cas d’éloignement numérique sont nombreux, et interviennent souvent en cascade. Les personnes les plus touchées par l’éloignement du numérique sont souvent celles qui en ont le plus besoin, notamment par rapport au suivi médical, social, ou encore l’employabilité.

Si 56% des Français estiment mieux maîtriser les outils du numérique deux ans après le début de la crise sanitaire, il est important de noter que l’exclusion numérique n’a pas reculé depuis 2020, au contraire. En effet, les inégalités se sont même accentuées puisque les périodes de confinement successives ont rendu les outils numériques indispensables au quotidien : télétravail, démarches administratives, prises de rendez-vous médicaux et téléconsultations. De plus, l’accès à l’éducation pour les enfants n’étant alors possible qu’au travers d’outils numériques, une nouvelle contrainte économique pesait sur les foyers ne disposant pas déjà d’un écran par personne. Par ailleurs, la montée en compétences numériques a majoritairement bénéficié aux cadres et professions intellectuelles supérieures (71%) au détriment des retraités et des non-diplômés, par exemple.

La croissance des usages numériques s’accompagne d’une croissance des équipements également, comme le relève le rapport de l’étude de référence Baromètre du numérique 2022 pilotée par l’ANCT, l’Arcep, le CGE et l’Arcom. Aussi, plus de neuf Français sur dix sont connectés à Internet, ce qui est une bonne chose puisque l’accès à internet est un des moyens d’action déployé dans le cadre des politiques d’inclusion et de transition numérique françaises (le New Deal Mobile pour la couverture mobile 4G, et le Plan France Très haut débit pour la fibre).

Néanmoins, et malgré la hausse de la connectivité, des équipements, des usages et des compétences pour certaines catégories de personnes, de plus en plus de personnes rencontrent des freins à la « pleine utilisation » du numérique, en raison, sans doute, d’une maîtrise insuffisante des outils, d’un équipement dépassé ou de l’accès difficile à internet. En effet, le Baromètre du numérique 2022 relève que « la part de personnes ayant des difficultés à effectuer des démarches en ligne a augmenté ». Les actions de l’Etat se concentrent justement sur la montée en compétences des Français éloignés des usages numériques au travers du déploiement de plusieurs dispositifs régis par le programme Société numérique.

La poursuite de l’objectif principal de ce programme, à savoir de permettre davantage d’autonomie aux usagers, est assurée par le programme « conseillers numériques » lancé en 2021, et plus particulièrement par les aidants numériques, 4 000 pour le moment, 20 000 prévus à terme pour 2027. Le gouvernement estime qu’ils ont accompagné 1,8 million de personnes, dont la moitié ont 60 ans et plus, à réaliser des démarches en ligne, prendre en main l’outil numérique ou encore à garder contact avec leurs proches. Un programme lié, Aidants connect, permet aux aidants professionnels de réaliser les démarches en ligne pour le compte des usagers en difficultés.

Au travers de ce premier billet de blog, le Lab des Usages est fier de présenter son nouveau sujet d’étude pour l’année 2023.
Dans une série d’articles à paraître, le Lab explorera les grands leviers de l’inclusion numérique au travail, s’attachant à saisir les enjeux et les opportunités de l’inclusion numérique interne dans leur ensemble et à comprendre quels mécanismes contribuent à créer un environnement de travail plus collaboratif, productif et épanouissant.

Par Karine Munschi

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