La ville intelligente se traduit par toute une dynamique d’interactions entre le physique et le virtuel qui peut potentiellement redéfinir le fait urbain mais dont on saisit encore difficilement les implications à ce jour.
Notre conceptualisation de la ville intelligente nous amène finalement à repenser le rôle de l’administration dans le fonctionnement de la ville. En effet, à ce jour, elle tend à avoir peu d’influence sur les autres acteurs de la ville devenus incontournables du fait de leur offre de services ou leur usage.
Le schéma ci-dessous représente la position des collectivités territoriales, d’une part contraintes par les forces de marché et d’autre part par les forces de polarisation liées à l’usage des plateformes web. Dans ce cadre, son positionnement ne doit plus être hiérarchique mais un nœud central dans un réseau de relations qui émane des forces en présence. Pour reprendre le concept de Callon (1986), les collectivités territoriales doivent se positionner comme un point de passage obligé de ces interactions. Tout ceci dans le but de s’adapter au mieux aux trajectoires imprévisibles émergeant des activités de la ville, mais aussi de constituer un puissant levier permettant d’aligner les intérêts des acteurs du réseau.
Ce positionnement dépendra en grande partie des objectifs stratégiques de la ville. Il s’agit en effet de mettre en adéquation ce positionnement selon les objectifs à atteindre. Sur ce point, il est important de mentionner que les postulats de la smart city, dans un tel contexte, sont à revoir. Premièrement, la résolution des problématiques urbaines a peu de chances d’aboutir seulement par l’optimisation des infrastructures urbaines. Par exemple, en matière de circulation routière, bien qu’elle puisse être améliorée grâce aux nouvelles technologies, cette fluidification du trafic tendra à attirer plus de conducteurs puisque le coût du trajet en voiture devient plus faible que ses alternatives. Initialement réduit, le trafic augmentera finalement, et ce jusqu’à ce que le temps de trajet redevienne équivalent à la situation de base (Duranton et Turner, 2009).
Un autre exemple est celui de la consommation énergétique qui dépend au final crucialement des incitations des consommateurs à réduire leur consommation et non de la mesure de la consommation en tant que tel. En outre, si effectivement la consommation d’énergie baisse, les ressources économisées peuvent être réallouées à un usage consommant autant, si ce n’est plus d’énergie. Ainsi, il est essentiel de reconnaître ces limites de la seule utilisation des nouvelles technologies pour développer des smart cities. Elles dépendent en garde partie des comportements humains et de la divergence entre l’optimum individuel et l’optimum social.
Si certains domaines peuvent être effectivement optimisés avec un gain net très probable, comme l’éclairage public, dans les autres domaines, la ville et sa gouvernance doivent se positionner entre les forces de marché et les forces sociales afin d’inciter au meilleur comportement collectif. Nous pouvons citer le Vélib’ comme exemple de réussite sous cet angle. Il cristallise en effet un ensemble d’éléments entre les forces de marché (offre alternative innovante), un modèle d’affaire attrayant (différentes durées de location possibles), un compte Twitter permettant de centraliser les relations et la représentation cartographique des Vélib’ disponibles. Cet ensemble a permis d’aligner les incitations aboutissant à la réussite de projet.
Cette analyse nous permet, en définitive, de proposer une nouvelle grille de lecture de la smart city que nous avons synthétisé par le schéma suivant :
Ces premiers résultats demandent encore à être approfondis et de nombreuses questions restent ouvertes. Il est notamment nécessaire de comprendre comment l’ensemble des services d’une smart city établissent des liens d’interdépendances entre les usages, les incitations et les comportements collectifs. C’est l’une des particularités principales du phénomène urbain à l’heure des Big Data et des plateformes d’interactions. Cependant, cela ne pourra être réalisé que par la formalisation des mécanismes fondamentaux qui régissent les flux d’informations et les flux sociaux.
A suivre dans le tome 2 du Smart City Tour ! Au programme, trois types d’intelligence urbaine pour faire une smart city : numérique, collective et spontanée. (A paraître en juin 2020)
Sources :
- Image d’illustration @storyset